le 18 mars 2020 ESAD-Pyrénées, Pau
De 9 h à 12 h Conférences de Laurence Allard, Anais Guilet, Corinne Melin, auditorium
De 14 h 30 à 17 h 30 Conférence-action de Benoit Labourdette, salle interlude
photogramme du film « Clip » (2012) de Majas Milos
Le cycle « téléphones connectés et cinéma » est composé de deux journées d’étude montées par Anaïs Guilet (Université Savoie Mont Blanc, laboratoire LLSETI) et Corinne Melin (ESADP Pau). Ces deux journées sont l’occasion d’explorer les usages des téléphones portables connectés dans le cinéma contemporain.
Présentation
Gardiens de nos nuits posés sur nos tables de chevet, blottis tout près de nous dans les poches de nos vêtements, guides efficaces de tous nos trajets, les téléphones portables dits intelligents / connectés, sont devenus les compagnons de nos vies quotidiennes. En cela, ils modifient fondamentalement notre rapport à l’espace et au temps, et font évoluer nos pratiques cognitives et culturelles et par conséquent nos modes de penser et d’agir. Naturellement, cette omniprésence ne peut manquer d’interpeller artistes, écrivains et cinéastes. Si pour David Shields dans Reality Hunger la littérature est « affamée de réalité », il en est de même pour le cinéma qui cherche à son tour à représenter l’individu en proie à cette hypermodernité que constate Nicole Aubert dans le titre de l’ouvrage qu’elle a dirigé en 2006. Dans les films qui nous intéressent, les téléphones intelligents ne constituent pas seulement un objet référentiel. Ils engagent une réflexion approfondie sur les conséquences de l’hypermodernité qu’ils représentent, les affects qu’ils produisent sur l’individu contemporain, son être au monde, sa relation à autrui. Le téléphone façonne nos expériences quotidiennes en même temps qu’ils modèlent nos représentations mentales.
Pour la première journée d’étude, les invité.e.s se sont appuyé.e.s sur un corpus de films dans lesquels le téléphone avait un rôle et une fonction centrale dans la structure narrative, les plans, le rythme, le jeu des acteurs (
The Guilty, Mission Impossible, Personal Shopper, etc.). Dans ce corpus également, la connexion humain-machine allait de soi. Elle n’était pas surnaturelle, horrible ou extra-terrestre. Par exemple, le téléphone connecté ne s’animait pas seul (Hellphone…). Les analyses ont mis en lumière qu’en creux de la narration première; il y a la recherche d’une « unité existentielle entre l’objet technique et le corps humain ». Cette unité passe par la constitution d’un langage commun, soumis à évolution. Dans ce langage, le corps est le mode d’expression. En effet, dans cette relation d’usage, les sens sont mis en jeu de façon singulière ; l’ouïe est originellement le sens privilégié de cette relation. Certains gestes sont nécessaires pour qu’elle ait lieu, comme taper les numéro sur le clavier, décrocher qui permettent de raccorder deux personnes. Il y a aussi des émotions, des sons, des onomatopées, des expressions proprement relatives à cette relation. Avec le smartphone, les modes de communication proposés par l’appareil ne se résument cependant plus seulement à l’ouïe, la communication peut se faire par message texte, par échange d’images ou de vidéos, lesquels imposent de nouveaux gestes (ex: tenir le téléphone à bout de bras, à distance de notre visage pour la visioconférence, prendre et envoyer des photos, des selfies, etc.). Quels qu’ils soient, ces nouveaux panels de gestes, eux aussi engagent une dimension haptique, expressive et émotionnelle. Et c’est sans doute cette dimension qui intéresse le plus les réalisateur.trice.s de films qui mettent en scène des usagers du smartphone.
Pour la seconde journée d’étude, nous allons poursuivre et ouvrir l’analyse de ces phénomènes d’
encorporation à un nouveau corpus, cette fois uniquement constitué de films réalisés avec les téléphones connectés. Le choix de faire du cinéma, avec cet appareil non dédié à la pratique cinématographique, éminemment portable, léger, qui tient dans la main et ne pèse plus sur l’épaule, impacte le filmage autant que les rôles établis entre réalisateur.trice.s, acteur.trice.s et technicien.ne.s. En effet, le film peut être réalisé par un.e cinéaste – extérieur.e au film, professionnel.le ou amateur.e- ou par l’un des personnages du récit -intradiégétique- ou encore en ayant recours aux deux
diégèses -fiction véridique. Il semblerait aussi que le filmage avec le téléphone engendre une mise en abyme de son propre mode d’échange. Ce petit appareil ordinaire permet une proximité inédite avec le pro-filmique, pour reprendre le vocabulaire de Souriau, au point qu’elle ne peut que modifier en retour la relation avec les personnes, paysages ou objets qui le composent. On se demandera également si la relation entre le filmeur et le téléphone connecté est exclusive ou si elle inclut le spectateur.
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