Le livre numérique « fichier:J’adore » regroupe plus de 700 images sélectionnées au cours d’une pratique quotidienne du réseau social f. entre avril 2016 et juin 2017 environ.
Avant-propos
« Nous avons fait tout le nécessaire pour retrouver les ayants droit des images reproduites dans ce livre. Cependant, si malgré cela il y avait une omission ou une erreur, merci de nous contacter. »
Les images ne sont pas classées en fonction du nom, de la notoriété, des styles. Ce sont des reproductions, des photographies artistiques et documentaires faites par des professionnels ou des amateurs du début du 20ème siècle à aujourd’hui, et provenant de divers pays ; ce sont des images de famille, des portraits d’amis fbookers, des selfies, etc. Il n’y a pas de hiérarchie. Ces images circulent sur f. souvent sans paternité et sans autre but que de servir de contexte d’énonciation.
Introduction
Ce livre regroupe plus de 700 images sélectionnées au cours d’une pratique quotidienne du réseau social f.[1] entre avril 2016 et juin 2017 environ. Cette sélection entre en résonance notamment avec une relecture des essais de Roland Barthes[2], la préparation de cours sur les images et les imaginaires associés[3], les ouvrages de Nicolas Thély[4], lus et relus pour préparer notamment des conférences[5]. La rencontre de ces deux activités m’a conduite à interroger par l’image et son nombre, la représentation du corps médiatisé, par l’image fixe surtout.
Les relations entre amis fbookers se font par partage d’images fixes ou animés, de textes, de morceaux de musique, de brèves, d’actus en somme. C’est un partage d’éléments multimédia, du sharing, du Web 2.0 démarré à l’aube du 21ème siècle. Certes, on parle plus volontiers aujourd’hui d’une communication orientée vers un futur proche : le Web 3.0. Cela dit, une quinzaine d’années nous sépare des prémisses du Web 2.0, et autorise une revisite.
surfer
Les images ont été prélevées à 95% dans les fils de l’actualité du réseau social ; les 5 % autres sont des images relatives à mes propres activités artistiques scientifiques, pédagogiques, quotidiennes. La collecte d’images s’est faite selon le rythme de ces activités. La sélection était en somme traversée par les flots de ma vie courante. La sélection se pratiquait sur un mode rapide, furtif même : dans le métro soit le temps d’un trajet, sur les quais d’une gare, dans un café, entre deux cours, en buvant un café, en faisant cuire des pâtes, etc. La sélection devenait plus rapide au fil des mois, et à mesure que les critères de sélection s’affinaient.
Pris dans les rythmes des flux, j’ai du adapter ma perception. Mon « système perceptif » s’est en effet rendu « suffisamment souple, adaptatif, différentiel pour suivre la multitude de courants[6] ». J’ai pu ainsi écarté la possibilité d’être engloutie, immergée dans les flux. J’ai appris à surfer sur ses rythmes « l’influx, l’afflux, le reflux » (Chatonsky).
classer
Pour des raisons d’organisation du bureau de l’ordinateur et de temps, les milliers d’images collectées ont été rangées dans plusieurs dossiers avec, pour chaque, des sous dossiers. J’ai ainsi ouvert un dossier portant le nom corps et deux sous dossiers : représentation et J’adore. J’ai choisi de montrer uniquement les images du sous dossier J’adore. Son titre renvoie à l’un des six émojis du réseau social f., mis à disposition pour entrer en réaction avec les contenus multimédia : J’aime, J’adore, HaHa, Wouah, snif, grr.
Le fichier comprend des images correspondant à mes goûts et dégoûts. J’ai surfé avec ceux-ci sur les flots des images circulant en continu -24 h sur 24 h – sur le réseau social. Ils se sont exercés principalement sur des portraits photographiques. Le portrait, genre classique, renvoie aux diverses représentations, traces de l’humain, et à ses activités. J’ai encore resserré ma collecte en isolant de l’ensemble trois catégories: nu et sexy, lovers et fashion. Dans nu et sexy, le corps y est le plus souvent apprêté pour dégager un effet ; c’est un corps nu à caractère pornographique, érotique, partiellement travesti ou montré sans phare. lovers comprend des portraits de stars ou de personnes publiques issues de diverses disciplines artistiques : musique, cinéma, théâtre, danse arts[8]. fashion comprend des photographies de mode ; le corps mis en scène rejouant les codes du face à face, souvent de façon clinquante, telle une marchandise neuve et brillante[9] ! En somme, les centaines d’images rassemblées ici montrent des mises en scène de soi, des poses saisies dans un rapport évident à une communication non verbale. Précisons que ces catégories n’ont pas été prédéfinies. Elles se sont constituées au fil de la collecte, au fil des mois. elles rendent compte de ce qui a été « produit avec les autres » ou avec ce qui m’était extérieur. Cette collecte ne correspond donc pas simplement à « mon » monde intérieur » forcément traversé par le monde extérieur propre aux flux.
Mettre en page
La taille et la résolution des images n’ont pas été modifiées, si bien que certaines apparaissent en pleine page et d’autres en miniature, au centre de la feuille A4. De même, elles sont organisées selon leur code source. La légende informe du contenu de l’image par le numéro informatique de l’appareil qui l’a enregistrée, par le code propre au format du fichier (jpeg majoritairement). L’ordre des images dépend encore du paramétrage du logiciel utilisé ; ici Word sous Windows 10. Dans la barre des tâches, j’ai sélectionné l’onglet « affichage », puis « trier », puis « croissant »[11].
Enfin de compte, les enchainements entre les images ne m’appartiennent pas complètement. Des collusions de sens se font de façon imprévue en fonction des matières et des postures apparemment. Un coup de dés jamais n’abolira le hasard !
Regarder, répéter
La plupart de ces images montrent un face à face entre le corps et l’appareil de prise de vue, conditionné par des normes (respectées, répétées), des clichés (relatifs aux poses à la mode, la tendance du moment), des habitudes qu’on ne questionne plus (passivité, manque d’inventivité). Vous allez donc voir souvent le même. cela dit, en répétant les mêmes stéréotypes page après page, vous vous rendrez compte que la répétition conduit cette collecte d’images ailleurs. Paradoxalement, elle les excède, et ouvre en quelque sorte sur toute leur théâtralité. La théâtralité, c’est le théâtre sans le texte, c’est le dehors, ce qui se donne à voir. Ainsi, de cette collecte d’images se dessine, page après page, toute la théâtralité de notre langage corporel lorsqu’il est sous les projecteurs et/ou exhibé.
[1] Je cite ce réseau social par son initiale étant donné son hégémonie.
[2] Roland Barthes, essais critiques, éd. seuil, 1964, aussi La chambre claire…
[3] Focus sur l’évolution des imaginaires provoquées par l’image reproductible, animée, interactive.
[4] Nicolas Thély, « Vu à la webcam, essai sur la web intimité », les presses du réel, Dijon, 2003 ; « les webcams sont le lieu de rencontres, d’échanges, de complicité, de regards et de relations à l’autre », tout ce qui constitue ce que Nicolas Thély appelle la web-intimité, et pas simplement une relation de passivité, de voyeur vu, etc.
[5] conférence de Corinne Melin « figures et symboles du corps sexuel dans l’art des 20 et 21è siècles » journée d’étude « artistes-femmes, les formes de l’engagement » février 2016
[6] Grégory Chatonsky, « Dans les flots, Déconstruction de l’immersion dans les arts numériques », Colloque fictions, immersions et univers virtuels, Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne avril 2011,
[7] ibid. Grégory Chatonsky in « Dans les flots, Déconstruction de l’immersion dans les arts numériques »
[8] En dégageant ce genre, j’avais en tête des mots de l’artiste américain Mike Kelley. Il avait un certain usage de l’expression populaire « je suis fan de… » pour qualifier ses choix iconographiques; voir son article sur Douglas Huebler et ses emprunts d’images médiatisées, shall we kill daddy ? 1997, Palais des beaux-arts de Bruxelles.
[9] Voir Patrick Bouvet, Canons, éditions de l’Olivier, 2007, citation ci-dessous p. 31.
« sur cette photo
chaque corps est numérisé
de haut en bas
chaque corps est piégé
un homme et une femme
tentent de se relever
au milieu des images […]
[10] Ibid. Roland Barthes, essais critiques,… « Le théâtre de Baudelaire », préface, 1956, p. 41-42
[11] C’est le système de trie que j’utilise le plus souvent.