« L’artiste-entreprise », Editions Dalloz, 22 euros, 254 pages, 2013.
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Extrait d’un entretien avec Xavier Greffe,économiste, professeur à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne.
Ce terme d’« artiste-entreprise » peut surprendre…
X. G. : Oui, et même choquer, surtout en France ! Nous sommes habitués à l’idée que la culture n’est pas soutenable économiquement et qu’elle doit donc reposer soit sur le mécénat, soit sur les subventions publiques. Nous avons encore en tête l’image du starving artist qui lutte pour survivre et créer, dans des conditions de vie misérables.
Cet imaginaire est lié à l’autonomisation de l’art et à sa prise de distance avec le politique et l’économique, qui a eu lieu après la Renaissance. Elle a été renforcée par l’image romantique de l’artiste. L’« artiste-entreprise » contredit l’idée que l’artiste soit toujours un « enfant économique » qui attend que d’autres trouvent des solutions économiques pour lui.
Comment s’explique cette mutation ?
X. G. : La situation de l’artiste a beaucoup changé avec le développement de l’audiovisuel et des industries créatives. L’environnement de la culture s’est aussi considérablement complexifié : évolution des contrats, des droits de propriété, importance croissante de la médiatisation, du numérique, internationalisation liée à la mondialisation… Cette complexité croissante pousse les artistes vers une logique d’entreprise.
Quels sont les secteurs les plus touchés par cette évolution ?
X. G. : Le design, la mode, les mangas au Japon, la musique en Grande-Bretagne sont symboliques de cette évolution. Les artistes y sont des entrepreneurs qui travaillent pour gagner de l’argent. On constate aussi ce phénomène d’artiste-entreprise dans l’art contemporain. En fait, il n’y a guère que le spectacle vivant qui échappe à cette tendance.
Comment réagissent les artistes lorsque vous leur présentez ce constat ?
X. G. : En France, c’est un drame, car on prétend ne pas mélanger l’argent et l’art, l’économie et la création. Pourtant, cette version officielle est devenue incantatoire. Dans la réalité, ce n’est pas comme cela que vivent les artistes. Les sociétés professionnelles représentant les artistes me reprocheront certainement d’instrumentaliser les artistes. Ils diront que l’art est fait pour élever et que la logique marchande doit rester en dehors de l’art. Sur le fond, ils n’ont pas complètement tort, mais cela ne correspond pas à ce qui se passe sur le terrain.
http://www.la-croix.com/Debats/Opinions/Debats/L-artiste-est-devenu-son-propre-entrepreneur-_NP_-2012-05-24-810270]]>