La relation entre l’artiste et l’entreprise n’est pas neuve mais elle connait depuis le début du 21ème siècle un regain d’intérêt et surtout depuis 2002, une historisation ou une place dans l’histoire de l’art contemporain.
On remarque en effet la publication d’ouvrages qui amorce une histoire de cet art contemporain reliée à l’entreprise. Des œuvres, des démarches, des concepts propres à définir l’artiste entrepreneur, l’entreprise artistique. Ce sont majoritairement des ouvrages collectifs rédigés par des universitaires et des managers. Les universitaires composés d’artistes, de critiques, d’agents d’art, etc. débattent du changement du statut de l’artiste : approche sociologique et esthétique. Les managers tendent à considérer l’artiste comme un modèle d’innovation et de souplesse (adaptabilité à toutes situations concrètes) pouvant servir à renouveler les pratiques actuelles des managers notamment en entreprise de services, de conseils et d’audit.
L’artiste entrepreneur est un profil d’artiste qui existe depuis des siècles. L’atelier est la forme la plus ancienne qui a su s’adapter à l’évolution des mœurs et des techniques. L’atelier de Rubens au 17ème siècle au Pays Bas comprenait près de 150 assistants spécialisés chargés. Au 21ème siècle aux Etats-Unis, l’atelier de Jeff Koons s’inscrit dans cette lignée : il a certes moins d’assistants mais externalise certains aspects de la « production ». Dans ce profil, l’artiste entrepreneur organise sa production, sous traite, coordonne en chef de projet le déroulement et l’avancée des travaux etc. Cette démarche entrepreneuriale est rendue nécessaire à la fois par la nature des œuvres qui sont le plus souvent monumentales ainsi que par une reconnaissance croissante entrainant un flux important de demandes de collectionneurs et d’institutions.
Cette approche de l’artiste entrepreneur peut s’étendre à de nombreux artistes contemporains comme Olafur Eliasson, Maurizio Cattelan, Damien Hirst, Xavier Veilhan, Allan Mc Collum, etc. L’entreprise créée par l’artiste est bien dédiée à la production d’une œuvre ; l’artiste « met en place un espace structuré pour faire advenir son œuvre. ».
Il existe d’autres artistes plus radicaux dans leur approche de l’art au regard de l’entreprise en tant que l’entreprise qu’il créée fait œuvre. L’exemple paradigmatique est à ce jour l’entreprise de Bernard Brunon. Son entreprise de peinture en bâtiment « That’s painting productions » est concurrente des autres entreprises du même type dans la région de Houston. Dans un musée que voit le spectateur, est bien un mur peint par une entreprise de bâtiment, dirigée par un artiste qui le revendique. « Cette œuvre propose une expérience esthétique qui a principalement lieu dans la saisie mentale du processus dans son ensemble. » Dans cette œuvre conceptuelle, l’objet physique est secondaire, ce qui prime c’est l’intention de l’artiste. Il faut souligner que cet artiste n’a pas exposé sur la scène artistique pendant une quinzaine d’années.
D’autres artistes évoluent librement entre ces deux pôles. Ils utilisent le langage et les procédés de l’entreprise pour donner forme à leurs projets et/ou interviennent au sein de l’entreprise. L’entreprise de Fabrice Hyber raconte qu’à l’origine de la création de son entreprise UR il y a la volonté de se positionner comme un véritable interlocuteur de l’entreprise.
Adaptée le même langage que celui d’un chef d’entreprise facilité les échanges, les soutiens. Lorsqu’on est une entreprise, dit-il, « on téléphone ; on va voir des chefs d’entreprise ; on établit des dossiers de financement… » Il part du principe que le bon format de réalisation d’une œuvre dans notre société c’est le format de l’entreprise. citation p 85 la démarche de FH connut un réel engouement auprès des jeunes artistes des années 90 qui s’engouffrèrent dans cette brèche. Les artistes tendent à intervenir directement au sein de l’entreprise : artiste consultant et artiste manager. la difficulté est de maintenir un bon équilibre entre les deux pôles d’activité.
Un exemple historique John latham et Barbara Steveni créateurs de l’Artist Placement Group (APG) qui existât de 1966 à 1989.
APG a placé des artistes au sein des entreprises (1975 jeffrey shaw à la national bus co), des administrations appartenant à un réseau professionnel spécifique, constitué des personne soutenant leur action comme sir Robert Adeane membre CA de Shell, ou Tom Batho DRH chez Esso Petroleum Ltd… Une fois placé dans ses organisations, l’artiste observait, devenait experts, produisait des rapports, élaborait des contre propositions, participait à la mise en place des projets. En somme, il participait le plus efficacement possible à la vie de l’entreprise, en inoculant quelque chose de leur positionnement spécifique dont l’origine est le champ de l’art.
Des artistes sont aussi employés par des entreprises de management orientées art, et dont certains dirigeants sont également artistes ou offrent un modèle singulier d’artiste.
Avec la société Entrepart, le monde de l’art et de l’œuvre semble avoir infiltré le monde de l’entreprise de service pour répondre à son besoin de créativité et d’innovation. Cet entrepreunariat créatif consiste à transformer les organisations en des « organisations processus », à libérer les forces créatives des divers collaborateurs qui participent de l’entreprise (client, dirigeant, etc.). Ce développement coïncide avec un contexte économique favorable à l’innovation. « Les modèles émergents ne reposeraient plus sur des organisations de production mais des organisations s’appuyant sur une dynamique de l’apprentissage de toutes les pratiques et de tous les savoirs[1]. »
les concepts et les méthodes d’Entrepart use des émotions, de l’imaginaire dans le questionnement et la résolution des relations intersubjectives qui tissent les liens en interne et en externe de l’entreprise, sur le déplacement des formes organisationnelles en place en stimulant les formes de son devenir… Toutes ces initiatives propres à l’entrepreunariat créatif portent davantage sur la créativité c’est-à-dire sur le processus psychologique favorisant l’esprit créatif dans une entreprise que sur la création artistique. L’entrepreunariat créatif modélise ses dispositifs, ses méthodes, etc. en fonction de la création artistique.
Entrepart « revendique » s’être inspiré des processus artistiques des artistes contemporains tels que Robert Smithson, Philippe Parreno, Chen Zhen, Joseph Beuys, Alain Bashung, Alice Cooper, mais aussi des penseurs proches de la création comme Nietzsche, Deleuze, Baudrillard, Sloterdijk, Stiegler, Maffesoli pour élaborer ses concepts, ses méthodes. Lors des ateliers, des interventions, il communique sur l’art en tant que modèle viable pour transformer l’organisation de l’entreprise, les pratiques, les relations clients, en somme pour être innovant. «
Les artistes ont des manières de savoir, d’agir et de sentir adaptées à la complexité du monde. Mieux connaitre leur pratique peut aider les responsables à épouser les défis du temps présent avec moins d’effort, plus de succès et plus de plaisir[2]. » H Mugnier établit également à sa manière une correspondance entre l’artiste et le manager, un transfert continu des rôles. Usage de la créativité, innovation,
[1] Ibid., L’artiste & l’entrepreneur, actes du colloque international « arts, entreprises, technologies, quels modèles de développement culturel pour l’Europe ? »… article de Maria Bonnafous-Boucher, « Création, créativité et action libre ou les trois points cardinaux de la formation en entrepreneuriat », pp. 253-63, p.253. [2] Ibid, Christian Mayeur…, p 43.