Du 22 au 29 septembre 2018, s’est tenu dans le château et les dépendances de Cerisy la Salle, le colloque international « Reenactment/Reconstitution : refaire ou déjouer l’histoire ». Il a été monté par Estelle Doudet et Martial Poirson professeurs en études théâtrales, et sous le regard expert d’Édith Heurgon la directrice du domaine.

L’approche diversifiée et/ou fouillée de la notion de reenactment/reconstitution : son usage selon les pays, les périodes historiques, les formes d’art populaire et expérimental, en fait un colloque de référence. Il rassemblait des chercheurs francophones et anglo-saxons faisant de cette question une préoccupation internationale. Les temps de travail, repas, échanges, ateliers, la durée (5 jours) a favorisé les débats, les croisements d’approches, l’identification du différant et du commun.

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Conférence en ligne d’Anne BÉNICHOU donnée le 27 septembre 2018 sur la Forge numérique de la MRSH de l’Université de Caen Normandie et France Culture.

NOTES DE CONFERENCES

Que pourrait être le commun des divers chercheurs regroupés ici ? Serait-ce la « spectation » (niveau de conscience que le scientifique reenactor a quand il « reenact »)? Le jeu (imiter, faire semblant, donner l’illusion)? Les rôles (personnages, mises en scène)? L’enquête (scientifique, documentaire) ? Participent-ils à la délimitation de ce que serait l’histoire vivante et/ou l’archéologie expérimentale (utilisé avec précaution pendant le colloque) ? C’est sans doute une méthode où le vivant côtoie l’archive, le document incomplet de l’histoire. Le vivant y ajoute l’éclat du présent, ses résonances avec nos sociétés actuelles, tout en maintenant un lien avec les marques du passé.

L’un des objectifs de l’histoire vivante serait de démonter les idées faites sur une époque par la pratique de ses objets : le costume, les outils de combat, les objets du quotidien. Un fait est révisé par la démonstration. Le fonctionnement d’un objet est mieux compris, ces mécanismes et usages cernés. Les démonstrations par le vivant sont solidement documentées, et sont souvent le fruit du croisement de plusieurs archives. Cette approche scientifique (qui reste minoritaire) se fait principalement dans les disciplines de l’Histoire bien que l’Anthropologie n’en soit pas exclue. Par cette dernière, est observée et analysée la dimension symbolique et culturelle des rituels de célébration refaits au présent comme par exemple la célébration de Santa Rosa de Lima au Pérou. (cf. conférence d’Isabel Yaya McKenzie)  La capture du dernier souverain Inca par les troupes de Francisco Pizarro en 1532 est rejouée chaque année dans l’espace public et parmi les habitants principalement dans les villages et villes de hauts plateaux andins (Nord du Pérou). Ainsi, les prémisses de la conquête espagnole sont rejouées encore et encore dans cette partie du pays marquée par leur présence (agriculture, routes, élevage).

Il y a également des re-jeux de l’histoire qui ne gardent d’une période historique, d’un rituel que les effets c’est-à-dire ce qui évoque. Il s’agit de faire illusion. Pensons par exemple les premiers téléfilms des années 60 (touchant le plus grand nombre, diffusés sur les chaines de télévision). Prenons la série « Angélique, marquise des anges » avec Michèle Mercier. (cf. conférence de Guy Spielmann par ex.). La robe d’époque a été modifiée au niveau du décolleté, manches, taille afin que l’actrice garde son image de sexe symbole émanée du présent. La dimension historique est secondaire ; l’actrice joue le même rôle qu’elle soit femme du 18è ou du 20è siècle. D’autres exemples pris dans les films de divertissement sur le moyen âge ont été présentés et critiqués. Ce genre fait preuve d’une quasi-absence de spectation. Largement médiatisé auprès du plus grand nombre, il crée dans l’esprit des spectateurs, des représentations tronquées et durables du passé.

Dans l’art contemporain, c’est souvent par le rituel que la danse, les arts plastiques, le théâtre déjouent la dimension dramatique des pans de notre passé. Dans les exemples montrés durant le colloque, le spectateur était soit placé au plus proche de l’absurdité et de l’horreur de scènes coloniales soit mis à une certaine distance par le ton décalé employé par les performeurs au regard des scènes jouées. Le spectacle vivant Exhibit B de Brett Bailey 2013 fait partie de la première catégorie ; il n’a pas eu fonction d‘apaisement mais de soulèvement (cf. conférence de Martial Poirson), surtout lors de ses représentations dans les pays anglo-saxons. L’art a fait surgir dans l’espace public un rejet manifeste de la mise en scène vérité, de l’objectivation de l’horreur. (Le spectacle de Brett Bailey a généré de nombreuses manifestations publiques, et a reçu une couverture médiatique importante.) Sur le mode de la parodie, Coco Fusco et Guillermo Gòmez-Peña, dans la performance Two Undiscovered Amerindians Visit the West 1992-1994, re-jouent la mise en scène et la mise en vue des esclaves de foire du 19è /début 20è siècle. Le film réalisé par Fusco et Paula Heredia, The Couple in the Cage (1993) met quand à lui l’accent sur les spectateurs ou sur la réception. Ce double regard : dans la cage et hors la cage met en tension le connu et l’inconnu, le familier ou le ça rappelle et l’étrange étrangeté. Il provoque des réactions, des actions du public. (cf. conférence d’Anne Bénichou). Comme en écho à la portée publique, directe du reenactment/reconstitution, Estelle Doudet rappelait la dimension citoyenne des théâtres urbains au 15è siècle. Ils avaient pour fonction de constituer collectivement des identités fondatrices de valeurs communes. Ces spectacles commémoratifs urbains réactualisaient les mémoires civiques appelés les mystères : spectacles d’histoire commandités par les responsables du village, de la ville. Par exemple, le théâtre urbain de St Clément de Metz en 1480 rejouait la construction de la ville. Lors des processions, des comédiens se figeaient dans des positions répétées, en des scènes clés de l’édification de la ville. Ces tableaux vivants étaient bien comme des arrêts sur image ; ils fixaient les traits mémoriels de la fondation commune.

Les questions du public et du re-jeu de l’histoire ont été également posées. Qu’est-ce qu’il pense de ? Ce qu’il recherche ? Ce qu’il croit ? Quels sont les dispositifs mis en place ? Comment un pan de l’histoire rejoué est-il donné à voir ? Certains intervenants ont présenté des dispositifs muséaux ayant recours au reenactment pour dire l’histoire d’une nation. Ainsi, le musée de l’homme à Montréal a invité les Inuits à participer à la scénographie et à la narration de leur histoire. (cf. conférence de Mathieu Viau-Courville) D’autres ont eut une approche critique de la mise en scène et de la narration symbolique d’une scénographie et de son contenu fondée sur l’empathie. (cf conférence d’Aurélie Mouton-Rezzouk) L’exposition par exemple « Dans la peau d’un soldat » a un titre qui en dit long sur un contenu hautement immersif, qui engage le corps et la sensibilité dans la découverte exposée de la vie d’un soldat.

Il a été constaté que peu d’étude avaient été menées sur les participants aux reconstitutions : spectateur et  « reconstitueur ». Il a été relevé que le spectateur viendrait y chercher un saut dans le passé, un décalage temporel, et pour regarder à distance la constitution de son présent, éprouver le différant. Il a été relevé aussi que la plupart des « reconstitueurs » n’étaient pas engagés dans une recherche scientifique, documentaire. Cela dit, au contraire, certains ont une connaissance approfondie de la période rejouée, et préfèrent des reconstitutions privées, fermées au public où mœurs et coutumes peuvent être éprouvées sans justification immédiate. Il a souvent été employé des expressions comme « entrer dans une communauté », « respecter les codes », etc.

Les ateliers, complément aux conférences, portaient sur la technique des costumes du 18è surtout, les techniques d’auto défense des années 50 et de combat au moyen-âge, le théâtre de sociétés au 18è, etc.

Il y avait aussi d’autres manifestations comme celle du couple d’artistes Besnik Haxhillari & Flutura Preka : reenactment d’une performance historique de Marina Abramovic et Ullay.