Ces notes préparent un article de fond sur l’enseignement expérimental des arts aux États-Unis au cours des années 1950-70.


Black Mountain College

“The proper function of a university is the imaginative acquisition of knowledge… Imagination is a contagion disease. It cannot be measured by the yard, or weighed by the pound, and then delivered to the students by members of the faculty. It can only be communicated by a faculty whose members themselves wear their learning with imagination. “Alfred North Whitehead, The Aims of Education, 1929.

[…] Le Black Mountain College (BMC) 1933-1957 était situé à Chapel Hill près d’Asheville en Caroline du Nord. La création de cette université privée était liée au désir de quelques universitaires d’élaborer un enseignement détaché de toutes formes d’académisme. (…) Les étudiants participaient autant au cours qu’à la vie quotidienne sur le campus : ils y dormaient comme les enseignants et leurs familles, y dinaient et participaient aux affaires courantes en donnant leur point de vue lors des réunions infrastructurelles. Il s’agissait d’abolir la distinction entre apprendre et vivre. […] Les étudiants étaient responsables de leur propre enseignement. Il n’y avait pas de programme de cours et il n’y avait pas de notations. Les étudiants étaient évalués, pour le dire vite, en fonction de la façon dont ils re-connaissaient avoir appris et utilisaient ce qu’ils avaient appris. Au BMC, l’enseignement était considéré comme une préparation à la vie. Les étudiants apprenaient à prendre les décisions appropriées aux situations courantes de la vie personnelle et professionnelle ainsi qu’à développer leurs capacités d’initiative et d’indépendance. L’enseignement était un processus dans lequel l’esprit créatif de l’étudiant était l’ingrédient principal. Les distinctions entre les modes d’apprentissage officiels et ceux accidentels et non intentionnels liés à la vie tendaient à s’effacer.

Le développement social de l’étudiant – communiquer et travailler avec les autres – était également important dans le processus d’apprentissage. Vivre ensemble était notamment un moyen de stimuler l’imagination, d’éclaircir sa pensée et de l’affirmer. […]

L’enseignement selon Robert Filliou

Au début de 1967, l’université de l’état de New York envisage d’ouvrir un département art expérimental. Afin de réfléchir au programme d’études et à la méthode pédagogique, plusieurs réunions sont organisées avec des enseignants, des étudiants et des personnes extérieures intéressées par le projet. Allan Kaprow y participe et invite Robert Filliou à y réfléchir également.

Deux lettres échangées entre eux rendent compte aujourd’hui des idées partagées. Pour Robert Filliou, ce département « art expérimental » fonctionnerait de façon autonome et inventerait ses propres règles et système de valeurs, détachées de tout académisme. Il serait composé « non pas de professeurs et d’élèves, mais d’égaux essayant de résoudre quelques problèmes de façon créative. » Être créatif, selon ses mots, c’est avoir « un don pour la vie ». La créativité est un « art de vivre ». Enseigner, en ce sens, c’est proposer un vécu qui fasse disparaître la différence entre enseigner et apprendre. « Etre, agir et faire sont des concepts bien plus utiles. L’art est un processus.» … A l’institut d’art expérimental, il ne s’agira pas d’enseigner mais de raviver « le talent pour la vie, de changer complètement la structure de notre esprit afin que la joie et la créativité remplacent la souffrance et le désespoir … » Il s’agit pour lui d’imaginer ce que serait la vie si l’homme n’était pas enfermé dans les modèles que les sociétés (culture, famille, etc.) inventent. Depuis l’enfance, l’éducation repose sur « tu apprendras » alors que Filliou dit : « tu sais. Essaie de ne pas désapprendre », partant de l’idée que l’apprenant sait déjà tout ce qu’il doit savoir de la vie : le jeu, le plaisir, l’invention, etc. Filliou propose de mettre au point des jeux ainsi que des nouveaux modes de communication en s’appuyant sur des techniques développées par des artistes contemporains comme le happening, l’événement, la poésie action, la musique non instrumentale, entre les autres. […]” (citations extraites de Robert Filliou « Teaching and learning as performing arts » (1970), réédition pp. 46-48).

Extrait d’un texte de Corinne Melin, décembre 2009.