Le collectif One Life Remains, invité par Alain Goulesque directeur de la Fondation du doute à Blois, a proposé un « Garage Game » du 21 au 26 oct. 2016 ; cet évènement se tenait en parallèle à l’exposition « public void restart » ; second volet de la résidence du collectif à la Fondation ; le premier volet montrant sous forme de dispositif interactif « Les disciplines du rectangle ». site du collectif One Life Remains et site de la fondation
« Garage Game », une expérience, les 21 et 22 oct. 2016
Prenons appui sur son expérience pour interroger la manifestation. aller d’une voiture à l’autre, s’installer au volant derrière un écran ou encore s’assoir dans le coffre de la voiture pour s’embarquer dans un jeu psychédélique de Increpare, avoir la tête dans le moteur pour jouer à un jeu de Jeff Minter, être assise à l’arrière avec quelqu’un qu’on ne connaît pas pour assister à son parcours dans le jeu et franchement s’amuser ensemble des divers niveaux du jeu « Plug & Play » de Mario van Rickenwald, jouer à « Slam of the Arcade Age » du collectif One Life Remains en se demandant si on a vraiment envie de pousser avec vigueur le joueur à côté de soi pour appuyer sur le bouton, passer du temps dans le jeu de Keita Takahashi « Noby Noby Boy » 2009; grimper dans le bus de Ben transformé en salle de jeu pour l’évènement ; à la place chauffeur , le jeu de Captain Games et Justin Smith « enviro-bear » 2000 …. à l’arrière du bus, plusieurs jeux dont « No Thing » 2016 de Evil Indie Games, on restart sans arrêt quand on se plante et pour reprendre le plus vite possible le défilement de la route.
Ce jeu a fait l’objet d’une performance le 21 oct. à la nuit tombée ; un des membres de One Life Remains était invité à jouer en live ; sa performance était remarquable ; le joueur restait immobile bougeant presque de façon imperceptible les manettes du joystick. Cette absence de mouvement facilitait la plongée des spectateurs dans la course qu’il cherchait à contrôler ; le joueur conduisant un engin invisible, dans une sorte de labyrinthe aux angles droits marqués, lignes droites vertigineuses, plans inclinés, brouillage colorés,… voix off, musique, informations qu’il ne faut pas rater, rester concentré. Le 7è niveau n’est pas passé, crash… la performance fut d’environ 30 mn.
(Les extraits des jeux vidéo en lien ici ne sont pas tous ceux montrés lors de l’évènement ; cela dit il renvoie à l’univers du concepteur…)
La vitesse
Dans les jeux vidéo expérimentaux choisis par le collectif, la vitesse et le voyage sont simulés diversement. Une analogie se fait entre les expériences que les jeux proposent et l’effet d’atomisation du réel, de déréalisation que provoque la conduite à pleine vitesse et dont parle Jean Baudrillard dans « La société de consommation »., il dit avec lyrisme : « La vitesse efface le sol et les références territoriales puisqu’elles remontent le cours du temps pour l’annuler, puisqu’elle va plus vite que sa propre cause et en remonte le cours pour l’anéantir. La vitesse est le triomphe de l’effet sur la cause, le triomphe de l’instantané sur le temps comme profondeur. » En somme et pour le paraphraser, le sujet vit une expérience extra ordinaire en conduisant à pleine vitesse. Il est comme ivre, amnésique traversant « des déserts d’insignifiance avec indifférence ». Son objectif est d’avancer, de rouler droit devant encore et encore. Le paysage qui s’offre à lui n’a pas de limites apparentes. Il file, défile…
Le temps
Le temps est un facteur essentiel dans le jeu vidéo et l’expérimental, les concepteurs en joue. Les expériences sont de durées variables de quelques minutes à plusieurs jours : si on veut accéder à l’ultime niveau. La musique art du temps par excellence renforce la temporalité propre à un jeu : les tonalités et les rythmes changeant à chaque erreur, à chaque niveau… Synthétique, elle accompagne l’effet de déréalisation qu’accentue la vitesse simulée. Le temps du jeu peut également être désynchronisé du temps réel que devrait avoir le joueur pour le mener à bien, il peut être étiré, etc. Bref, le temps est une matière à travailler car cette dernière influe assurément sur le comportement du joueur.
1000 galantes, 2013-2016, One Life Remains
De l’expérimentation vers la réflexion
Le joueur est assurément manipulé par les effets produits de et par l’objet. Dans les jeux vidéo expérimentaux, cet objet est souvent mis à l’épreuve ; piégeant le joueur, l’amenant à changer ses habitudes de compréhension, de gestion de l’espace, de relation avec l’interface, etc. Le jeu vidéo expérimental tend à déconstruire la structure et l’infrastructure de l’objet d’attention. Lors de la table ronde, le 22 oct., modérée par Hervé Jolly avec Quentin Destieu, Sophie Daste, Mario van Rickenwald, le collectif One Life Remains, il est apparu clairement de la nécessité de rendre compte de la recherche de ces créateurs de jeu vidéo passant par l’expérimentation ; ils en montrer les effets, les travers, les plaisirs etc., fournissent de la matière critique en somme.
L’expérience
Et puisqu’il s’agit d’expérience au fond, revenons sur cette notion. Les mots suivant de Roger Munier résonnent étrangement avec ceux qu’on pourrait employer pour dire la pratique du jeu vidéo. L’expérience, l’Erfarung implique selon sa formule « une avancée vers l’inconnu à travers l’épaisseur du connu, soit l’idée d’un procès où se découvre peu à peu un sujet qui en motive le déploiement et appelle sans cesse l’expérience au-devant d’elle-même » (cité par Jean-Christophe Royoux in « la beauté comme expérience »).
L’expérience d’un jeu n’est pas détachée de la vie. Le joueur part du cours de sa vie, et en jouant il l’intensifie ; il en fait un moment extra ordinaire. Puis il reprend le cours de sa vie ordinaire marquée temporairement par les formes, les seuils et les durées de l’expérience vécue, et que le jeu contient.
le copyright pour les images : collectif One Life Remains.