Empathie pour tout le monde. L’empathie, est-il un mot à la mode ? Une tendance ? Son rayonnement médiatique depuis 2015 révèle assurément un phénomène culturel propre à notre société des loisirs, légitimant la portée d’un regard critique.

Le terme d’empathie renvoie dans le langage courant à un phénomène souvent rendu par l’expression « se mettre à la place de quelqu’un d’autre ». L’empathique a la capacité de comprendre les émotions de la personne avec qui il échange et donc de répercuter cette compréhension sensible sur  l’interaction avec l’autre. Le sociologue et linguiste américain Ervin Goffman [seconde école de Chicago interactionniste] l’a démontré dans des ouvrages tels que « La mise en scène de la vie quotidienne » ; il s’est appuyé notamment sur le concept de « cadre »  dégagé du continuum de l’expérience vécue pour l’étudier. Ainsi Les micro-expressions, les gestes, tout ce qui a trait à la communication non verbale sont relevées. Les images photo et les vidéos servent de matériel d’analyse ; ces supports enregistrent ce qui est perceptible pendant l’interaction mais qui ne se dit pas, ne participe pas a priori à l’objet de l’échange. Comprendre un état émotionnel ne veut pas simplement dire ressentir les émotions de quelqu’un d’autre, vivre de l’intérieur ce qui n’est seulement que perçu. L’empathique identifie le cadre d’émotions de la situation dans laquelle il se trouve. Il ne se met pas dans la peau de l’autre, il établit une communication non verbale à distance de l’autre.

Depuis 2016, plusieurs évènements culturels placés se sont placés sous la bannière de l’empathie : « Soundscapes » à la National Gallery de Londres été 2015 immergeait le visiteur dans un tableau de la collection via des morceaux de musique créés pour l’occasion, « Dans la peau d’un soldat » au musée de l’armée nov. 17 janv. 18 la dernière salle propose au spectateur de vivre une simulation de terrain en guerre comme un soldat. Les dispositifs de réalité virtuelle (DRV) tiennent une place de choix dans les musées institués ou récents ils  génèrent les effets attendus : rendre l’histoire vivante. Il a été inauguré Par exemple l’été 2018 le musée de l’immersion à Paris. Les spectateurs pouvant plonger dans une peinture 3D de Klimt.

En mettant un casque de rv, les utilisateurs ont donc la possibilité de se mettre dans la peau de quelqu’un d’autre (SDF, réfugié, paralytique, soldat, etc.) et/ou de plonger dans une atmosphère étrange/étrangère (reconstitution du pont des arts à paris, …). Cependant, ces manifestations peinent à délivrer un message, caché qu’il est, sous la promesse d’une expérience inédite. Les dispositifs immersifs engagent leurs publics et ont bien une valeur éducative. Cela dit, ils ne changent pas les expériences vécues des utilisateurs. Prenons pour exemple se mettre dans la peau d’un soldat. L’horreur de l’expérience d’un soldat en terrain hostile a certainement peu à voir avec les sons diffusés et les images projetées, collectées. Elle a à voir avec la peur et l’anxiété, le sentiment d’étrangeté ressenti sur un territoire hostile. L’utilisateur peut mettre un casque sur sa tête, être plongé dans les sons et les images d’un camp, il n’éprouvera pas ce type d’angoisses[1].

Ce serait par magie si « mon » corps fusionnait avec celui d’un soldat, chevalier, réfugié ; si je me glissais dans la peau d’un autre ; si je ressentais ses émotions. Ne nous perdons pas. Les gros titres maintiennent peut-être l’illusion en répétant les mêmes mots, mais nous nous ne tromperons pas. C’est bien une simulation, une illusion, une fiction véridique qui sous tend un dispositif virtuel fondé sur l’empathie.

Il est vrai qu’avoir de l’empathie, c’est également accepter l’altérité, c’est préfigurer un monde sans violence. L’idée est séduisante, convenons en.


[1] Paul Bloom, Against Empathy, HarperCollins, New York, 2017.