J’entrevois des connexions entre ces concepts hypnose – corps – jeu – réalité virtuelle, et les expressions auxquelles ils renvoient. Je note dans cet article ce qui a déclenché cette réflexion, et ce vers quoi elle pourrait s’engager…

En 2015, je participais à une plongée de Catherine Contour.

Catherine Contour, chorégraphe et pédagogue, explore depuis une quinzaine d’années les possibilités de l’outil hypnotique, qu’elle a amplifié de ses expériences reliées à d’autres pratiques artistiques que la danse. Elle propose depuis des scénarios, des expériences basées sur l’exploration perceptive et la mise en mouvement de « réalités hypnotiques ». Catherine Contour a réalisé une série de plongées en groupe à la Gaieté Lyrique, Paris dans le courant de l’année 2013.

La plongée à laquelle j’ai participé s’est pratiquée en groupe. L’attention était focalisée sur la voix de Catherine Contour. Elle servait de guide au déplacement mental de nos corps, placés ici-bas dans un demi sommeil. J’étais en effet assise confortablement sur une chaise, parmi d’autres personnes, les yeux fermés, les bras, les jambes et la tête, relâchés au préalable pour faciliter la plongée. Le déplacement du corps, dans cet espace mental, était comparable à celui d’un film lorsque que le narrateur a embarqué une caméra ou filmé en caméra subjective. Cela dit, en faisant un retour sur l’expérience, ma perception s’est vue enrichie de mon intérêt alors pour les jeux vidéo ou ce qui s’y rapporte.

De l’impression première, je dirai que j’étais en apesanteur ; j’avais la sensation de voler au fil des descriptions de Catherine Contour : paysage, arbre, cours d’eau par exemple. Ces indicateurs sont apparus, après coup, comme des repères essentiels à ce qui apparaissaient alors à la conscience : un espace infini, sans gravité, sans bords.
Le corps flottant circulait au travers de ses propres images mentales ; ces dernières étant des représentations éparses et fuyantes, presque impalpables.

A la sortie de la plongée, j’avais une impression qui s’est avérée durable ; conduisant à cette réflexion. Cette impression est celle d’avoir circulé dans une réalité virtuelle au moyen de mon avatar, comme dans le métavers Second Life (SL) par exemple.

Circuler dans un jeu RV nécessite en effet d’avoir un avatar. Cette marionnette de pixels nous représente et nous permet d’être identifié et identifiable dans le jeu. Rappelons que le terme d’avatar est emprunté à l’hindouisme où il désigne l’incarnation sur Terre du dieu appelé Brahma, Vishnu ou Shiva. Ce corps a une matérialité et une temporalité distinctes de celle des Hommes. Il en va de même pour l’avatar créé pour évoluer sur des plateformes virtuelles ; il est immatériel, fait d’une matérialité numérique chiffrée. Son support physique (son corps) est partagé entre les serveurs hébergeant la plateforme, l’ordinateur et l’écran de l’utilisateur ainsi que ceux des autres utilisateurs et avatars présents autour de lui. Sa temporalité est en cela discontinue : relative aux moments où l’utilisateur se connecte pour actualiser, habiter et manipuler le corps de synthèse ; les données relatives étant, le reste du temps, stockées sur des serveurs. De même, on n’est pas connecté en continu à l’espace mental que l’hypnose crée. Il y a un moment choisi pour sa pratique ; certaines conditions sont à rassembler comme mettre en sourdine la physicalité du corps pour que se fasse pleinement la plongée. Le basculement se fait entre deux réalités, l’une dans laquelle le corps à une emprise, et l’autre dans laquelle le corps est sans attache. Que ce soit dans le jeu en rv ou dans l’expérience d’une réalité hypnotique, la manipulation de « l’avatar » exige une astreinte physique, une « amputation » volontaire du toucher. Chacun répond à sa manière (mises en condition, basculement immersif) à une augmentation et démultiplication du visuel et du sonore.

Cao Fei, China Tracy et China Sun in Second Life ; poster 2011-12.

En somme, cette plongée m’a conduite, au fil des mois passant, à interroger l’identité d’un corps appareillé (relation homme machine) et d’un corps simulé (ayant uniquement une existence dans une RV). Dans ce cadre, l’artiste chinoise Cao Fei m’est apparue éclairante. Dans la plupart de ses réalisations, elle questionne la frontière entre les mondes virtuel et physique ainsi que les opérations de brouillage et de glissement entre eux au travers de l’avatar et de ses identités. Dans l’oeuvre entièrement simulée sur SL « RMB City » 2005-2011, l’artiste crée en 2009 un enfant de pixels en même temps que sa propre grossesse se développe. Nées en même temps, « ses filles » ne sont pourtant pas égales. Pour en rendre compte, Cao Fei imagine un dialogue entre des avatars de différentes générations: China Tracy/Cao fei, un oncle et China Sun (née dans SL). L’artiste interroge par ce biais la possibilité d’exister dans un présent simulé, de se constituer une mémoire, un futur.
China Sun demande par exemple si l’échelle des objets est la même dans SL et le monde physique. Il lui ai répondu que dans le monde réel, les objets sont limités par leurs propriétés matérielles et physiques comme la couleur, la taille, etc, et que dans SL, les objets sont comme ils doivent apparaitre. Un même objet peut apparaitre petit ou très grand ; il n’a pas de taille déterminé ; c’est à nous de décider comment on veut voir l’objet au moment où on le fait apparaitre. Cao Fei souligne aussi que le sens de l’espace dans SL est proche de la vision du monde bouddhiste dans laquelle l’ensemble des phénomènes de l’univers coexistent pour former un tout. Le monde physique concret est en ce sens une facette de l’existant et le monde virtuel en est certainement une autre.

L’artiste Cao fei, dans sa recherche de ce qui est vrai et simulé, rappelle la dépendance de l’avatar à son concepteur et à sa conception. La question de l’enfant suivante en rend compte : « Puis-je quitter le monde virtuel ? ». La réponse a été sans appel : « Ta mère Cao Fei/ China Tracy peut passer du monde réel au monde virtuel, puis du monde virtuel au monde réel,  mais pas toi. … Tu comprendras mieux cela quand tu seras grande. »
voir l’ouvrage de Cao Fei  » I watch that worlds pass  » nov. 2015

À poursuivre…